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Depuis 1950, 218 cas d’abus sexuels ont été recensés par l’Eglise en Suisse. 25 se sont déroulés entre 2010 et 2016. 

Valère, 6 décembre 2016. Sous les voûtes de la basilique, les évêques suisses « prêtent leur voix et leurs larmes » aux victimes d’abus sexuels, cette « violence innommable ».

« Des profondeurs, je crie vers toi Seigneur ». Agenouillés sur les marches du chœur devant une petite assemblée, les évêques entonnent le psaume des lamentations. Religieux, victimes, fidèles et journalistes laissent résonner la voix des évêques. Puis le silence s’installe.

« Une grande faute a été révélée à notre époque dans l’Eglise, aussi dans nos diocèses et nos communautés », dira ce jour-là Mgr Charles Morerod, président de la Conférence des évêques suisses. Une faute grave et multiple: « l’acte d’abus, le silence complice ou encore l’absence d’aide aux victimes ».

La « pénitence » des évêques, en ce mois de décembre 2016, ne concerne malheureusement pas seulement les déviances d’hier. Les transgressions sexuelles sont toujours une réalité dans l’Eglise catholique en Suisse.

Parmi les groupes d’experts rattachés à la conférence épiscopale, la commission « Abus sexuels dans le contexte ecclésial » recense méticuleusement l’ensemble de ces cas dont elle a connaissance depuis 1950. En marge de cette cérémonie de prière et de pénitence, elle livrera à la presse l’état de ses connaissances. 25 cas concernent la période de 2010 à 2016. Cela va d’une mauvaise gestion de la proximité à des contraintes sexuelles ou des harcèlements de différentes sortes.

« J’étais complètement tétanisée »

Il y a deux ans, Myriam* se découvrait porteuse d’une grave maladie. Elle confie son désarroi au prêtre de sa paroisse. Elle le connaît bien: Myriam est organiste. Elle trouve auprès de lui un peu de réconfort jusqu’au jour où le prêtre l’emmène sur un parking et l’agresse sexuellement. Elle lui oppose un refus, mais ne parvient pas à résister physiquement. « J’étais complètement tétanisée ». D’autres rapports suivront. L’organiste tombe enceinte. Le prêtre la menace et la pousse à avorter. Elle finira par perdre l’enfant. A bout, Myriam rapporte les faits aux autorités de son diocèse. L’agression du prêtre fait actuellement l’objet d’une enquête interne à l’Eglise, mais le cas ne devrait pas être transmis au procureur. Myriam s’y oppose. Elle ne veut pas que sa famille apprenne ce qu’il s’est passé.

*Prénom d’emprunt

Pour autant, Mgr Joseph Bonnemain ne souhaite pas distinguer les cas selon un degré de gravité. « Toute transgression sexuelle constitue un acte grave », aux yeux du secrétaire du groupe d’experts ‘Abus sexuels dans le contexte ecclésial’. Mais tous ne sont pas objet de poursuites pénales. « Sur les 25 cas qui concernent la période 2010-2016, cinq ont été transmis à la justice », explique-t-il. Pourquoi seulement cinq? « Parce que certains cas, une mauvaise gestion de la proximité ou un rapport sexuel consenti entre un prêtre et une personne adulte, par exemple, ne peuvent pas être dénoncés ».

L’homme prêche la transparence. « En Suisse, depuis 1950, l’Eglise catholique a connaissance de 27 procédures civiles ouvertes à l’encontre d’assistants pastoraux, prêtres ou laïcs, précise-t-il. 246 victimes au total. Ces abus ont eu lieu entre 1950 et aujourd’hui. Ils concernent 59 enfants de moins de 12 ans, 84 adolescents et 88 adultes » — l’âge d’une quinzaine de victimes reste indéterminé.

Mgr Joseph Bonnemain, secrétaire de la Commission d’experts « Abus sexuels dans le contexte ecclésial »

Mais tous les cas ne remontent pas forcément aux oreilles de la commission d’experts Abus sexuels. Comment savoir si ces 218 cas recensés recoupent une large partie de la réalité ou, au contraire, constituent le sommet de l’iceberg? Difficile à dire. Pour esquisser un début de réponse, Mgr Bonnemain distingue les contextes culturels. « Dans l’Eglise en Suisse allemande, on ne laisse plus passer grand chose. La grande majorité des transgressions sont annoncées voire dénoncées. Est-ce que c’est le cas au Tessin? Je ne crois pas… » « Des cas existent en dehors de ces statistiques, reprend Giorgio Prestele, président de la commission d’experts Abus sexuels. On ne peut pas dire le contraire ».

Ces statistiques sont donc partielles et ne prétendent pas à l’exhaustivité. Elles montrent toutefois l’actualité des abus sexuels dans l’Eglise en Suisse, bien que la tendance soit à la baisse. La déchristianisation et le retrait progressif du piédestal social réservé aux prêtres expliquent en partie cette diminution.

Mais « l’innommable violence » n’est pas tarie pour autant. Les abus sexuels et la pédophilie le seront-ils un jour? Mgr Morerod, président de la Conférence des évêques suisses, n’est pas dupe. « Malheureusement, la pédophilie sera toujours d’actualité. C’est une illusion de croire qu’elle disparaîtra complètement de l’Eglise ».

Ce drame appelle la responsabilité de l’Eglise. En Suisse, une étape importante a été franchie en 2016 avec la constitution d’une commission d’écoute et d’indemnisation neutre et indépendante pour les cas prescrits. Mais il reste encore à s’interroger sur le contexte de ces transgressions. A Valère, en décembre 2016, Mgr Morerod le reconnaissait: « Cette faute de quelques-uns a été possible aussi à cause de certaines structures et de certains modes de comportement et de pensée ». Si la responsabilité de l’abus incombe en premier lieu à l’auteur, l’enquête ne peut faire l’économie des causes structurelles qui favorisent les abus.


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